lundi 14 juillet 2014

Un dauphinois en colère

                         UN DAUPHINOIS EN COLERE   par Jérôme BLUM



"CONCERT INACHEVE"


Le silence se fait peu à peu dans le Théâtre Italien. Le chef est prêt, s'avance et monte sur l'estrade et lève sa baguette; le concert commence. Tout semble se dérouler correctement. Et puis, plus tard, c'est le fiasco total ! Les seconds violons manquent une entrée vraisemblablement par une indication erronée du chef et le flot musical, dévié de son lit habituel se répand de façon désordonnée dans les oreilles du public décontenancé. Le chef, à la manière d'un commandant de bataillon fulmine: un cri de ralliement sort de sa bouche; rendez-vous est donné au dernier accorden sautant tout ce qui, normalement, aurait dû être joué...
La suite du concert, moins catastrophique, manque toutefois de répétition, de précision, d'inspiration et l'on peut remarquer que le chef entre dans une espèce de confusion honteuse, mélée à une colère qui commence à sourdre de manière visible et gênante. Mais on a encore rien vu!

Pour le concert de ce soir, l'orchestre est pour le moins composite. Ses membres font partie, en majorité du Théâtre même, et pour l'occasion, le chef y a adjoint d'autres musiciens de l'extérieur. Ce que le chef ne sait pas, c'est que tout ceci représente vraiment une corvée pour les musiciens attachés à l'établissement et que le règlement intérieur ne les obligeant pas à jouer au-delà de minuit, ces derniers se lèvent et s'en vont soudainement pendant l'exécution d'un choeur de Weber; seul les musiciens extérieurs au Théâtre restent bravement et le chef se retrouve à minuit face à cinq violons, deux altos, quatre basses et un trombone pour... la Symphonie Fantastique; c'est peu... pour le chef, Hector Berlioz, c'en est trop!

La critique acide et malveillante rapportera à l'issue du concert inachevé que la musique fit fuir les musiciens!

"Tout le monde a donné des leçons à Shakespeare" ou UN TRAITE NECESSAIRE

Hector Berlioz a, par la conception de la direction d'orchestre et du travail qu'il engendre, les idées novatrices de l'artiste exigeant qu'il est.
Il ne cesse de se plaindre, tout au long de sa vie du peu de scrupule dont certains chefs d'orchestres ou musiciens font preuve. Les ARRANGEURS !! Ah ces arrangeurs!... maudits soient ces indignes profanateurs de partitions! Une partie de contrebasse, dans une symphonie de Beethoven ne plait pas?
Qu'a cela ne tienne, elle est supprimée! L'instrumentation de Don Giovanni jugée trop ténue,verra des parties de grosses caisses s'ajouter ainsi que des parties d'ophicléides!
On "corrrige" des " fautes", on "améliore" l'instrumentation,on change
des phrasés... En parlant de Castilblaze (mais où sont donc passés les oeuvres de génie de Castilblaze!), Berlioz dit;" Il n'y a presque pas une partition de Glück, Grétry, Mozart, Rossini, Beethoven qu'il n'ait retravaillé à sa façon: je crois qu'il est fou"
Berlioz n'a pas son pareil pour stigmatiser d'une ironie ravageuse ces très prétentieux "gâte-métier":

-"O misérable!... et l'on donne cinquante coups de fouet à un pauvre matelot pour la moindre insubordination."

Berlioz, une autre fois raconte qu'un éditeur lui envoya des partitions des symphonies de Beethoven dont le célèbre professeur de composition du Conservatoire de Paris, Fétis, avait "revu et corrigé" certains passages. 
Il trouva des compositions sublimes chargées d'annotations, de modifications, toutes plus inavouables les une que les autres et comme il le dit: " Tout ce qui, dans l'harmonie de Beethoven ne cadrait pas avec la théorie professée par Fétis, était changé avec un aplomb incroyable..."

En remplaçant un Mi bémol par un Fa (pour partie de clarinette), Fétis écrit dans la marge:
-" Ce Mi bémol est évidemment un Fa; il est impossible que Beethoven ait commis une erreur aussi grossière".
Berlioz traduit:"...il est impossible qu'un homme tel que Beethoven ne soit pas dans ses doctrines sur l'harmonie, entièrement d'accord avec monsieur Fétis".

Ce Mi bémol originel, devait provoquer, par sa tenue dans les aigus, un retard puis devait se résoudre en une magnifique montée chromatique doublée d'un crescendo. En fait, un énorme crescendo naquit dans les mauvaises realtions entre Fétis et Berlioz qui devinrent ainsi ennemis jurés!

On a donné des leçons à Shakespeare, à Mozart, à Beethoven...Qui plus est, bien des chefs d'orchestres ne connaissent pas la tessiture des instruments et exigent des sons impossibles à obtenir. Berlioz essaye donc d'introduire et d'institutionnaliser son expérience personnelle en écrivant un traité d'orchestration.

Encore aujourd'hui, certains musiciens (j'en ai connu!) méprisent Berlioz en le jugeant médiocre sur le plan technique. Même si l'on peut déceler à travers son oeuvre, quelques faiblesses (il fut dur et exigeant avec lui-même, ne l'oublions pas), laissons ces tâcherons de la musique à leur triste sort.

"En voyant de quelle façon certaines gens entendent l'amour, et ce qu'ils cherchent dans les créations de l'art, je pense toujours involontairement aux porcs, qui, de leur ignoble groin, fouillent la terre au milieu des plus belles fleurs et aux pieds des grands chênes, dans l'espoir d'y trouver les truffes dont ils sont friands". (Berlioz)


Encore une fois, laissons-les persifler et demandons-leur:
-A quand votre Damnation ou votre Fantastique Symphonie?!"

J.B.
http://youtu.be/7cPkzWhtt2I


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