jeudi 24 juillet 2014

                                     

                                  GUSTAV MAHLER  par lui-même

                                                               ( 7 Juillet 1860-18 Mai 1911)



"Quand j'aurai crevé, tu seras toujours un beau parti,jeune et jolie comme tu es...Voyons, qui pourrais-tu bien épouser?"X" est trop ennuyeux,"Y" trop monotone malgré tout son esprit... Il vaut mieux que je reste avec toi."

Malgré le ton de la plaisanterie adressée à sa femme Alma, Gustav Malher, en 1911 semble pessimiste sur le nombre de jours qu'il lui reste à vivre, en dépit de nombreux projets de tournées de concerts dans le monde entier.
Il dirige, le 20 Février, une œuvre de Busoni, que Toscanini est venu écouter; à l'entracte, Mahler prend un malaise et, malgré les contre-indications de son médecin, continue à diriger. Ce sera son ultime concert. Moins de trois mois après, il sera rapatrié tant bien que mal des États-Unis vers l'Autriche où il s'éteindra victime d'une angine infectieuse.

Dire d'un artiste qu'il est profondément marqué par les évènements de sa vie est un lieu commun mais dans le cas de Mahler, c'est une vérité faite notes.

Chaque partition recèle, au sens freudien du terme des réminiscences très souvent constituées d'éléments conflictuels.
On raconte que, témoin d'une scène brutale avec ses parents, il s'enfuit dans la rue où un joueur d'orgue de barbarie animait le quartier avec la célèbre chanson O Du lieber Augustin.

Mahler expliqua lui-même que cette superposition de climats fit que l'un n'allait plus sans l'autre, et il est vrai que sa musique contient très souvent des mélodies insouciantes revêtues d'harmonies tendues et sévères, ce qu'ont exploité dans une très grande mesure, les compositeurs de musique de films.

"Sur le plan humain, je fais toutes les concessions; sur le plan artistique, aucune!"

Mahler est méticuleux à l'extrême: les longues répétitions ne laissent rien au hasard. " Sur le plan humain, je fais toutes les concessions; sur le plan artistique, aucune!" dira-t-il.

Le futur grand chef d'orchestre, Bruno Walter qui fut aussi son assistant, laisse un portrait précis de l'artiste. "Mahler interprète, était sûr de lui, autoritaire, imprégné de l'œuvre, certain de son but, irritable et dur face à une exécution insuffisante, aimable et compréhensif dès qu'il décelait compétence et enthousiasme."

Il prend des positions paradoxales mais très positives: "Quand je veux obtenir un son très doux, je le confie à un instrument qui ne peut le produire qu'au prix d'extrêmes difficultés."

"Quand un adagio me semble n'avoir eu aucun effet sur le public, je le reprends la fois suivante non pas plus vite mais plus lentement."

Ses neuf symphonies (et l'adagio d'une 10ème), sa musique vocale, Kindertotenlieder, composition quasi prémonitoire, les Chants d'un compagnon errant, recèlent un merveilleux élan vital, un foisonnement d'idées contrastées et de climats bouillonnants qui révèlent une personnalité profonde et complexe.
"Imaginez l'univers entier entrain de vibrer et de résonner. Il ne s'agit plus de voix humaines, mais de planètes et de soleil en pleine rotation" dira-t-il en parlant de sa huitième symphonie.

Mahler connut de grandes gloires à travers le monde entier par sa fantastique maîtrise de la direction d'orchestre, éprouva d'immenses et incompréhensibles incompréhensions en tant que compositeur et dut subir de redoutables tragédies en tant que père de famille puisqu'il perdit Maria, sa fille ainée, âgée de quatre ans, morte de maladie.

Composer une symphonie,pour lui, c'était bâtir un monde. " N'admirez pas le paysage" dira-t-il à Bruno Walter."c'est inutile, j'ai tout emprunté pour le mettre dans ma Troisième!"

Mais il ne faut s'y tromper: Mahler ne voulait ne voulait pas de la musique à programme. Dans une violente réponse au public réactionnaire de la Quatrième, il dira: "Ils sont tellement corrompus par la musique à programme qu'ils sont incapables d'apprécier une œuvre d'un point de vue simplement et strictement musical."

Cette grande et ineffable nostalgie qui émane de son œuvre,qu'il voulait ouverte à l'infini, indissociable de sa vie fluctuante et riche, séduit et surprend par l'incessant renouvellement de son émotion.

J.B (article écrit en Juillet 1998)

mercredi 16 juillet 2014

Georg-Friedrich HAENDEL (1685-1759)   par Jérôme



" Nombreuses sont les pierres du chemin, les années de ma vie. Le petit garçon de La Halle est le premier frère du vieil aveugle de Londres. Entre eux se glissent, les séparant, des apparences d'hommes. L'enfant qui naiît à la musique et de qui, naît la musique, l'enfant est là, qui ne bouge plus écrasé sous sa perruque trop lourde, vieil enfant aveugle".


Peu avant sa mort, Haëndel traçait ces mots d'une écriture accidentée et déclinante mais d'une haute et pathétique espérance spirituelle, moment où ses yeux s'éteignirent, usés par un travail forcené et achevés par un chirurgien aux dons approximatifs...

L'HUMOUR DE HAENDEL


Charles Burney, altiste dans l'orchestre du maître et écrivain, dresse un portrait de Haëndel très haut en couleur. 
Il nous explique que l'allure générale du compositeur était lourde et sombre, mais quand il lui arrivait de sourire, c'était comme le soleil sortant d'un nuage noir. Il continue en précisant qu'il y avait chez lui un éclair d'intelligence, de charme et de bonne humeur qui rayonnait de toute sa personne.
Pour preuve, lorsque Haëndel s'emporta contre un musicien amateur incapable de déchiffrer un des airs du Messie, la réponse: "je sais déchiffrer mais pas à première vue" le fit éclater de rire!

Une autre fois, le petit-fils d'un ami du compositeur raconte qu'un soir, Haëndel voulut avoir l'opinion de son grand-père à propos d'une pièce pour orchestre qu'ils entendaient. Ce dernier répondit:  "Cela ne mérite pas qu'on s'arrête pour l'écouter: c'est un bien pauvre morceau!" Haëndel, sans se fâcher dit: "C'est ce que je pensais moi-même après l'avoir écrit"!

UN APPETIT INSATIABLE

Charles Burney nous raconte la merveilleuse anecdote ou Haëndel invitant des amis à sa table, un soir, répétait souvent: "oh! j'ai une idée!" et sortait de table.
Les convives ne voulant pas que le public fût privé d'idées musicales précieuses, l'invitèrent à se retirer et à les noter par écrit. Toutefois, il accéda à de telles demandes qu'un des convives, plein de soupçons, eut la curiosité de regarder par le trou de la serrure dans la pièce voisine: il s'aperçut que ces "idées" ne s'adressaient qu'à un panier de bouteilles de vin de Bourgogne alors qu'il régalait ses invités d'un vin de Porto plus vigoureux et de bien moindre qualité!

On raconte également qu'arrivant seul dans une auberge, il commanda un repas pour trois personnes. Alors que l'aubergiste tardait à le servir, il lui demanda, impatient,ce qui le retardait: "Mais j'attends que tous les convives soient là.." Haëndel éclatant de rire lui répondit:" Les convives, c'est moi. Apportez le dîner prestissimo!"
UNE FORCE DE LA NATURE

Au-delà de toute anecdote, Haëndel apparaît comme un homme doté d'une très grande force physique et d'un robuste caractère, ce qui ne sera pas sans conséquence pour sa musique. 
Autant la musique de Bach révèle un homme prévisible et régulier, un poète sensible d'une créativité inépuisable, autant celle de Haëndel révèle une spontanéité touchante, parfois facile, volontiers capricieuse mais combien séduisante et accessible aux esprits les moins disponibles.

Mais il est aussi doté d'un esprit large qu'il ne cesse d'accroÎtre par l'étude de ses prédecesseurs tels Froberger et Buxtehude et lors de ses nombreux voyages en Italie par la rencontre de Domenico Scarlatti, Bernardo Pasquini et encore Arcangelo Corelli.

LES CRITIQUES DU XVIII ème AU XXème SIECLE.

L'oeuvre de Haëndel n'a jamais fait l'unanimité: hier comme aujourd'hui. Nous n'essayerons pas de convaincre les récalcitrants. Il est amusant seulement de relever quelques jugements aussi péremptoires
que superficiels.
Jennens, le librettiste du Messie, fut défavorable à l'oeuvre à laquelle il avait participé:

" Son Messie m'a déçu: il fut écrit en grande hâte alors qu'il disait que cela lui prendrait un an et qu'il en ferait sa meilleure oeuvre. Je ne lui remettrai plus de paroles sacrées entre les mains pour qu'il en abuse."
Hector Berlioz parlant de Haëndel utilisa ces mots peu flatteurs:" La lourde face emperruquée de ce tonneau de porc et de bière qu'on appelle Haëndel."
Cosima Wagner écrivit en 1876 que:" Richard s'étonne de la banalité des oeuvres de Haëndel et continue de penser que ce n'est pas un musicien." (!)

En revanche, Frédéric Chopin, Franz Liszt, Franz Schubert, le prirent comme modèle, et plus encore Beethoven : "Je voudrais me découvrir et m'agenouiller sur sa tombe."

"Un aveugle, il faut le conduire par la main. Mais moi, je marche encore où je veux. Moi l'aveugle, je connais ma lumière. Personne ne peut m'enfermer, moi le Voyant."G.F. Haëndel

lundi 14 juillet 2014

Un dauphinois en colère

                         UN DAUPHINOIS EN COLERE   par Jérôme BLUM



"CONCERT INACHEVE"


Le silence se fait peu à peu dans le Théâtre Italien. Le chef est prêt, s'avance et monte sur l'estrade et lève sa baguette; le concert commence. Tout semble se dérouler correctement. Et puis, plus tard, c'est le fiasco total ! Les seconds violons manquent une entrée vraisemblablement par une indication erronée du chef et le flot musical, dévié de son lit habituel se répand de façon désordonnée dans les oreilles du public décontenancé. Le chef, à la manière d'un commandant de bataillon fulmine: un cri de ralliement sort de sa bouche; rendez-vous est donné au dernier accorden sautant tout ce qui, normalement, aurait dû être joué...
La suite du concert, moins catastrophique, manque toutefois de répétition, de précision, d'inspiration et l'on peut remarquer que le chef entre dans une espèce de confusion honteuse, mélée à une colère qui commence à sourdre de manière visible et gênante. Mais on a encore rien vu!

Pour le concert de ce soir, l'orchestre est pour le moins composite. Ses membres font partie, en majorité du Théâtre même, et pour l'occasion, le chef y a adjoint d'autres musiciens de l'extérieur. Ce que le chef ne sait pas, c'est que tout ceci représente vraiment une corvée pour les musiciens attachés à l'établissement et que le règlement intérieur ne les obligeant pas à jouer au-delà de minuit, ces derniers se lèvent et s'en vont soudainement pendant l'exécution d'un choeur de Weber; seul les musiciens extérieurs au Théâtre restent bravement et le chef se retrouve à minuit face à cinq violons, deux altos, quatre basses et un trombone pour... la Symphonie Fantastique; c'est peu... pour le chef, Hector Berlioz, c'en est trop!

La critique acide et malveillante rapportera à l'issue du concert inachevé que la musique fit fuir les musiciens!

"Tout le monde a donné des leçons à Shakespeare" ou UN TRAITE NECESSAIRE

Hector Berlioz a, par la conception de la direction d'orchestre et du travail qu'il engendre, les idées novatrices de l'artiste exigeant qu'il est.
Il ne cesse de se plaindre, tout au long de sa vie du peu de scrupule dont certains chefs d'orchestres ou musiciens font preuve. Les ARRANGEURS !! Ah ces arrangeurs!... maudits soient ces indignes profanateurs de partitions! Une partie de contrebasse, dans une symphonie de Beethoven ne plait pas?
Qu'a cela ne tienne, elle est supprimée! L'instrumentation de Don Giovanni jugée trop ténue,verra des parties de grosses caisses s'ajouter ainsi que des parties d'ophicléides!
On "corrrige" des " fautes", on "améliore" l'instrumentation,on change
des phrasés... En parlant de Castilblaze (mais où sont donc passés les oeuvres de génie de Castilblaze!), Berlioz dit;" Il n'y a presque pas une partition de Glück, Grétry, Mozart, Rossini, Beethoven qu'il n'ait retravaillé à sa façon: je crois qu'il est fou"
Berlioz n'a pas son pareil pour stigmatiser d'une ironie ravageuse ces très prétentieux "gâte-métier":

-"O misérable!... et l'on donne cinquante coups de fouet à un pauvre matelot pour la moindre insubordination."

Berlioz, une autre fois raconte qu'un éditeur lui envoya des partitions des symphonies de Beethoven dont le célèbre professeur de composition du Conservatoire de Paris, Fétis, avait "revu et corrigé" certains passages. 
Il trouva des compositions sublimes chargées d'annotations, de modifications, toutes plus inavouables les une que les autres et comme il le dit: " Tout ce qui, dans l'harmonie de Beethoven ne cadrait pas avec la théorie professée par Fétis, était changé avec un aplomb incroyable..."

En remplaçant un Mi bémol par un Fa (pour partie de clarinette), Fétis écrit dans la marge:
-" Ce Mi bémol est évidemment un Fa; il est impossible que Beethoven ait commis une erreur aussi grossière".
Berlioz traduit:"...il est impossible qu'un homme tel que Beethoven ne soit pas dans ses doctrines sur l'harmonie, entièrement d'accord avec monsieur Fétis".

Ce Mi bémol originel, devait provoquer, par sa tenue dans les aigus, un retard puis devait se résoudre en une magnifique montée chromatique doublée d'un crescendo. En fait, un énorme crescendo naquit dans les mauvaises realtions entre Fétis et Berlioz qui devinrent ainsi ennemis jurés!

On a donné des leçons à Shakespeare, à Mozart, à Beethoven...Qui plus est, bien des chefs d'orchestres ne connaissent pas la tessiture des instruments et exigent des sons impossibles à obtenir. Berlioz essaye donc d'introduire et d'institutionnaliser son expérience personnelle en écrivant un traité d'orchestration.

Encore aujourd'hui, certains musiciens (j'en ai connu!) méprisent Berlioz en le jugeant médiocre sur le plan technique. Même si l'on peut déceler à travers son oeuvre, quelques faiblesses (il fut dur et exigeant avec lui-même, ne l'oublions pas), laissons ces tâcherons de la musique à leur triste sort.

"En voyant de quelle façon certaines gens entendent l'amour, et ce qu'ils cherchent dans les créations de l'art, je pense toujours involontairement aux porcs, qui, de leur ignoble groin, fouillent la terre au milieu des plus belles fleurs et aux pieds des grands chênes, dans l'espoir d'y trouver les truffes dont ils sont friands". (Berlioz)


Encore une fois, laissons-les persifler et demandons-leur:
-A quand votre Damnation ou votre Fantastique Symphonie?!"

J.B.
http://youtu.be/7cPkzWhtt2I